Parfois le stagiaire me manque. Pas un manque
fugace comme quand j’ai envie d’un café et que je ne veux pas me lever, ou que
la queue à la photocopieuse dépasse les trois personnes. Non, un vrai manque,
comme quand vous lancez le jouet de médor en espérant qu’il le ramènera et que
vous réalisez que cela fait plusieurs semaines maintenant qu’il est enterré
dans le jardin. Ce manque qui vous prend aux tripes, qui vous met mal à l’aise,
qui vous collerait presque la larmichette si nous n’étions pas en train de
parler d’un stagiaire.
Entendons nous bien. Je parle du vrai stagiaire, le
dévoué, le fidèle, celui qui veut prouver au monde entier ou tout du moins à
l’étage qu’il est un bon élément. J’ai moi-même été stagiaire dans un temps
lointain, lors de ma dernière année d’études. Nous avions deux objectifs simples
pour nos stages : se rendre indispensable et piquer la place de notre
maître de stage. Bref, de petits anges extrêmement serviables avec des dents
prêtes à s’enfoncer dans la chair de la personne nous ayant pris sous son aile.
Au cours de mes différents stages, j’ai pu voir plusieurs fonctions du
stagiaire. La fonction « machine à café/photocopieuse », très
instructif quoique légèrement avilissant, la fonction « faire-valoir »,
c'est-à-dire, « tu as vu, moi j’ai un/une stagiaire, c’est que j’ai un
poste haut placé et que je suis over bookée », dans ce cas il vaut mieux
avoir une formation de psy ou une lecture assidue de la presse féminine pour
vous en sortir parce que vous allez en entendre des délires
égocentriques ; et la fonction « je te fais bosser comme un salarié
mais je te paye une misère », là tu vas apprendre, là tu vas bosser, et tu
vas bien comprendre le monde du travail.
Plusieurs stagiaires sont passés dans mon bureau, mais j’ai la nostalgie
des premiers surtout. Ils étaient pros, attentifs, dévoués, plein d’admiration
et en plus ils bossaient. Il y a eu quelques accidents de parcours, comme cette
fille de presque 30 balais qui a abandonné son stage au bout de deux semaines
parce que son chat lui manquait (…), une qui faisait super bien son boulot mais
trop émotive, qui faisait crise d’angoisse sur crise d’angoisse. Bon j’avoue,
la première était sympa, j’ai pu mettre en pratique ma formation secourisme
suivie quelques temps auparavant, et j’ai eu tout bon. Au bout de la douzième
en trois semaines, quand on entre dans le bureau et qu’on la voit à nouveau
allongée sur la moquette du bureau, on a juste envie de lui dire que quand elle
aura fini, elle voudra bien terminer la distribution du courrier, merci.
Maintenant nous avons des stagiaires étranges. Le niveau de leurs
compétences et de leur implication est
inversement proportionnel à leur niveau d’études. Ils souffrent assez souvent
de narcolepsie, et n’hésite pas à déclarer préférer aller à la rencontre du
monde qui les entoure, à découvrir de nouvelles cultures, à s’intéresser à des
personnes nouvelles plutôt que de rester pour boucler un dossier.
Traduction : non ils ne resteront pas après 17h parce que c’est vendredi,
qu’ils vont rater l’happy hour du café du coin, être en retard au cinoche et ne
seront donc pas assis à côté de leurs potos.
Bref, le stagiaire d’aujourd’hui est une feignasse ma bonne dame, mais
une feignasse dotée d’un ego surdimensionné. Parce que nos responsables pensent
qu’un stagiaire bac + 5 ou pire sortant d’une école de commerce sera plus
efficace. Il en ressort surtout qu’il sera hautain, ne voudra pas réaliser les
tâches qu’il trouve ingrates et qu’il vous demandera sans cesse combien vous
gagnez depuis que vous êtes ici. Si en plus le stagiaire est une minette tout
droit sortie de Gossip Girl, avec des seins collés sous le menton, qui fronce
les sourcils de dégoût dès que vous commencez à évoquer vos enfants, c’est le
pompon.
Mais le pompon du pompon, la punition ultime, là où la bonne aubaine du
stagiaire se retourne contre vous, c’est lorsque l’on vous colle un enfant de
collaborateur… au mieux, ce sera un « stagiaire fantôme », avec des
horaires proches du 11h-11h30 / 15h-15h45 les mardis et jeudis (le lundi c’est
lendemain de week-end, le mercredi c’est la journée des enfants et le vendredi
c’est déjà le week-end). Au moins, il ne vous met pas de bâtons dans les roues,
le seul risque étant de ne pas le reconnaître quand vous le croiserez dans les
couloirs.
Il y a la version fouine, enfant de syndicalistes par exemple, cantonné
à des tâches purement administratives. Très fatiguant à diriger puisqu’il
connaît tous les textes réglementaires et que le moindre écart de langage ou de
comportement peut prendre des proportions inimaginables.
Et puis il y a le stagiaire-boulet, la buse qui ne sait rien faire, qui
a les yeux dans le vide quand il doit être attentif plus de cinq minutes
d’affilée, et qui râle dès qu’il doit effectuer un travail. Ce qui donne de
grands moments de solitude quand le parent, angoissé ou fier, se pointe pour
savoir comment se débrouille sa progéniture…
Mais au final, c’est tout de même sympa un stagiaire, pour effectuer les
travaux qui nous soûlent, descendre au courrier pendant que l’on traîne sur
"vente-privée", aller chercher un café, monter dans les services dans lesquels
nous n’avons pas envie d’aller. Et puis un stagiaire c’est valorisant, on l’a,
il est à nous, il nous est « rattaché », c’est nous qui décidons si
son stage est concluant ou non.
Non, vraiment, j’ai la nostalgie du stagiaire depuis que je suis à la
maison… je vais peut être voir avec l’école primaire de mon fils si ils font
des conventions de stage ? à quel âge un enfant est-il capable de servir
un chocolat chaud avec des cookies à 16h sans en mettre partout ?