Réunion de crise à la pause café
de 10h30. Ma copine du 3ème et moi discutons sur le manque de
communication autour d’un fait majeur du petit écran : Brad Carlton est
mort et tout le monde s’en fout. Je suis sûre que toi non plus tu n’étais pas
au courant. Pire, peut être ne le connais tu pas. Alors je situe, Brad Cartlon
est, enfin était l’un des personnages cultes des « Feux de l’Amour »,
fameux soap diffusé sur TFI depuis des lustres. Brad, le beau jardinier qui au
final est devenu un grand homme d’affaires est mort en secourant Noah, le fils
de Sharon et Nick, tombé dans un lac gelé. On sentait bien ces dernières
semaines que ça n’allait pas fort pour lui, mais de là à le tuer dans un lac
gelé !
Pendant que ma copine et moi
dissertons sur l’affront fait aux fans d’avoir tué ainsi un personnage
important, je vois que le type venu prendre sa pause café lui aussi, nous
écoute attentivement, un petit sourire aux lèvres. Il doit comprendre à mon œil
mauvais qu’il n’est pas de bon ton de tenter la blagounette ce matin, et ose
une phrase sympathique d’intégration à la conversation « je connais ce
feuilleton, ma grand-mère regardait quand j’étais petit ». Erreur, grave
erreur, dans cette phrase, trois motifs de vexation : 1/ c’est un
feuilleton pour les mamies ; 2/ quand j’étais petit, donc c’est vieux très
vieux, en fait vous êtes vieilles, 3/ moi je ne regarde pas je suis au de
dessus de tout ça.
Toisage, de mon regard le plus agréable,
accompagné de cette question « et toi, c’est quoi ta tare
télévisuelle ? on en a tous au moins une, alors vas-y balance, et ne te
contente pas d’un « Tellement vrai » ou « tous différents »
ça ne compte pas ». Devant nos
visages déterminés, le jeune homme se met à chercher un truc un peu limite mais
tout de même pas trop dérangeant pour sa réputation dans l’entreprise. Je le
sens passer en revue dans sa tête tous les feuilletons pour ado qu’il mate
encore sur les chaînes de la TNT (Beverly Hills, Melrose place, Hélène et les
garçons…), les émissions de télé – réalité qu’il regarde en se marmonnant à
lui-même « mais qu’est ce que c’est con » pour se rassurer (L’île de
la tentation, Secret Story et les Chtis n’importe où dans le monde pourvu
qu’ils soient sous titrés…), et des émissions de classement de n’importe
quoi ou l’ensemble des émissions de
Patrick Sébastien (Et on fait tourner les serviettes …). Au final, il rougit,
bafouille, puis finit par bredouiller « je regarde les redif de
« l’Amour du risque » depuis quelques semaines ». Silence dans
la salle, nous avons promis de ne pas nous moquer. Je fais vite le parallèle
pour relancer le débat. Tu vois, lui dis-je, le décès de Brad, c’est un peu
comme si « Février » (le chien de Jonathan et Jennifer, bande
d’incultes) était mort sans que personne n’en parle. Il convient avec moi que
c’est moche, et me demande ce que ça raconte exactement les « Feux de
l’Amour ». Je lui paye un second café pour qu’il tienne le coup et me
lance.
Déjà ce soap, c’est la négation
totale de toute cohérence temporelle, géographique ou générationnelle.
J’entends par là que chaque personne dispose de son propre espace-temps, où il
va pouvoir évoluer à sa guise. Les enfants par exemple passent très rapidement
à l’adolescence, puis à l’âge adulte ; tout ceci sans que les personnes
autour ne vieillissent. Ce qui fait que des relations amoureuses vont naître
entre des personnages qui à la base avaient une bonne trentaine voire
quarantaine d’années d’écart. Ce procédé est même reconnu dans le monde des
soap, et se nomme le SORA : Soap Opera Rapid Aging syndrome.
Chaque personnage compte au moins
trois mariages à son actif, nettement plus lorsqu’il s’agit des personnages
« principaux ». Il y a également beaucoup d’enfants. Enfants cachés,
reconnus, pas reconnus, que c’est toi le père mais en fait non, mais en fait
si, mais non c’est ton frère aaaahh. Cela peut donner des intrigues sur plusieurs
années. Le coup des jumeaux/sosies marche très fort aussi. Et puis les morts
qui sont morts mais en fait non ils n’étaient pas morts. Les valeurs qui
ressortent de ce soap sont la famille, l’argent, le pouvoir, la morale (quand
même hein, on ne fait pas n’importe quoi non plus), et l’amuuuurrrr. Le pardon
aussi est très présent sans être nommé. Certains personnages ont des
trajectoires de vie assez surprenantes. Par exemple un avocat qui au début de
ses apparitions était un dangereux criminel qui avait pris une femme en otage
et l’avait séquestrée pendant des jours… et bien aujourd’hui, c’est le poto de
tout le monde ! Ils pardonnent tout dans les feux de l’amour. Et puis
l’histoire est élastique : tu peux regarder une fois, puis reprendre trois
mois ou trois ans après, a priori tu retomberas sur les pattes quand même… seul
soucis, le changement d’acteur qui peut arriver n’importe quand et où personne
ne te préviens, et là une astuce : la voix ne change pas elle.
Pour en revenir à l’histoire, on
peut dire que c’est en gros deux familles qui s’affrontent dans les
affaires : les Abbot avec John le Patriarche décédé depuis plusieurs
années mais qui fait régulièrement des apparitions en tant que sosie ou fantôme,
et les Newman avec Victor, le chef des chefs, avec ses t-shirts noirs moulants
et sa moustache. Et puis il y a aussi les Chancelor, et d’autres personnages
phares qui ont TOUS un lien entre eux, c’est prouvé.
Me voilà donc lancée dans une
explication des mariages et divorces et remariages, etc… mais je sentais que je
perdais mon collègue. Nous avons donc décidé que ce thème méritait plus qu’une
pause café, nous avons donc réquisitionné une salle de réunion, dotée d’un
paper board. Au bout d’à peine 1h30, pile pour l’heure du déjeuner, nous avions
élaboré un joli schéma, permettant à n’importe quel novice de s’y retrouver sur
les principales interactions entre les personnages. Et comme je ne te sens pas
prêt à lire ma prose pendant des heures sur ce thème voici le schéma qui
t’aidera. Et pis, c’est un peu mon petit hommage perso à Brad .
ouh pinaise !
RépondreSupprimerj'adore ce billet :p
;-)
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