La base cette interrogation m’est
venue lors mon entretien avec mon responsable, cet entretien qui vise à t’annoncer
si tu as ou non décroché augmentation ou prime cette année. En règle générale
tu le sais très rapidement. Si c’est oui, le manager ne va pas forcément
prendre des heures pour te l’annoncer, c’est un cas facile pour lui, il sait
qu’il va plus ramer avec les autres membres de l’équipe qui eux n’ont rien, il
ne va donc pas perdre son temps avec le grand gagnant. Avec un peu
d’entrainement, tu peux savoir dès le pas de la porte ce qui t’attend. A la
tête de la personne en face de toi, à sa façon de te saluer, de te présenter la
chaise pour t’asseoir, d’entamer la discussion.
Alors que j’étais assise depuis dix
bonnes minutes face à mon responsable, à l’écouter réciter un discours fort
bien argumenté je dois l’admettre, je me demandais comment réagir avec dignité à ce nouvel affront. Les
arguments avancés reposaient sur trois points : l’entreprise a des difficultés
en ce moment, vous n’avez pas « sur - performé » cette année, et vous
avez déjà un salaire honorable par rapport à vos collègues.
Concernant la situation de
l’entreprise, c’est fou comme la crise peut être un bon argument pour tout un
tas de situations : donner de toutes petites étrennes aux éboueurs qui te
balancent ta poubelle violemment contre le mur de ta maison quand ils ne la
laissent pas tout bonnement au milieu de la route, ou abréger l’appel
téléphonique du vendeur de vérandas/fenêtres/pompes à chaleur, par exemple. Argument
pratique mais moche quand il se retourne contre vous. Parce que c’est bien cet
argument là que ce gentil monsieur est en train de me servir en introduction. Les
temps sont durs, nous devons tous être solidaires, l’entreprise peut se sortir
de cette mauvaise passe mais il faut que chacun y mette du sien, et que tous se
soutiennent mutuellement. Son soutien à lui pourrait peut être commencer par me
prêter au choix, sa voiture de fonction, son téléphone de fonction ou bien
alors me faire le plein une ou deux fois par mois avec sa carte pro. Ce serait
déjà un bon départ de solidarité inter-entreprise, mais là n’est pas le propos
me dirait-il sûrement.
SurPerformeuse, SurPerformeuse, | ah oui c'est moi... |
Et puis, de toute façon, je n’ai
pas surperformé. La surperformance est un terme difficile à cerner, même pour ton
manager. Posons-lui calmement la question de ce que cela signifie concrètement,
qu’il l’illustre par un exemple, et nous verrons que la non surperformance peut
revêtir des formes insoupçonnées. Un dossier bouclé dans les temps, un
évènementiel réussi, les objectifs remplis constituent une performance mais en
aucun cas une surperformance. On surperforme lorsque l’on va au-delà des
demandes de notre hiérarchie, lorsque, transcendée par un professionnalisme
rarement égalé, nous anticipons, nous rendons nos dossiers avec deux jours
d’avance, nous réalisons les tâches avant mêmes qu’elles ne nous soient
confiées, que telle une tornade d’efficacité nous résolvons tous les problèmes
avant même qu’ils ne se posent. Attention tout de même que votre surperformance
ne vienne pas empiéter sur la performance de notre supérieur, ça, ça ne se
fait pas.
Et puis, de toute façon, j’ai un
salaire honorable par rapport à mes collègues. Cette affirmation ne repose que
sur l’absence totale de confiance entre collègues et le tabou qui entourent le
salaire : personne ne divulgue à personne son salaire dans une même
direction. Et quand certains brisent le tabou et viennent poser directement la
question « et toi, tu gagnes combien ? tu as eu combien de
prime ? ta dernière augmentation date de quand ? », On peut
apercevoir cette expression familière de grand moment de solitude sur le
visage, qui exprime non pas l’hésitation de se dire si nous allons ou non
répondre sincèrement aux questions posées, mais plutôt à l’élaboration vitesse
grand V du mensonge éhonté que nous nous apprêtons à formuler. Le supérieur se
base donc sur cette vérité pour se permettre d’affirmer notre haut niveau de
salaire par rapport aux autres parce qu’il sait que nous ne pourrons vérifier
ou du moins, obtenir une information fiable.
Au bout de plusieurs longues
minutes d’un monologue uniquement ponctué par mes hochements de têtes et
quelques acquiescements murmurés, la parole allait m’être donnée. Après la
conclusion de mon responsable, qui se terminerait inévitablement par un « vous
comprenez donc bien que nous ne pourrons vous octroyer aucune augmentation ou
prime cette année et vous m’en voyez désolé », j’allais pouvoir exprimer
toute ma frustration, mon écœurement face à cette situation. J’avais en tête la date de ma dernière
augmentation, les différents dossiers où j’avais pleinement réalisé mes
objectifs, j’étais prête à contre-attaquer sobrement, plein de dignité.
Car l’idée n’est pas non plus de
perdre tout sens commun et de céder à la facilité. Par exemple, se mettre à
pleurer, supplier, pire, tenter d’attirer la pitié en citant le nombre de
bouches à nourrir, l’otite du petit dernier à soigner, le montant des impôts à
payer, est tout de suite catalogué comme un grand manque de dignité. Flatter
peut être une alternative, sauf quand cela n’intervient que lors de cet
entretien. Un petit compliment sur la cravate ne peut pas faire de mal, mais
inutile de vous adresser à votre responsable par un « votre
grandeur » ou « maître », qui de plus pourrait être mal
interprété. Je passe sur les différentes formes de soudoiements possibles, du
monétaire au sexuel, toute once de dignité y est improbable. Le chantage peut
être une option, mais autant dire qu’il
faut avoir en sa possession du lourd, du très lourd pour s’embarquer dans ce
chemin, avec sans dignité d’ailleurs.
Mais la dignité est-elle
nécessaire ? Ne peut on pas tout simplement l’oublier, se jeter aux pieds
de son chef adoré, laissant échapper quelques larmes si c’est pour obtenir un
petit mieux financier chaque mois ? Ne pourrait-on pas arriver à son
entretien avec quelques petits gâteaux « maison » juste pour
témoigner de son admiration inconditionnelle ? Proposer un massage des
épaules, parce que oui on le sent tendu tout de même, c’est normal avec toutes
ses responsabilités, est-ce vraiment une tentative de « promotion
canapé » ?
Et puis d’abord, est-ce que les
gens autour de nous ont de la dignité tout le temps ? Comment conserver sa
dignité lorsque l’on doit ramasser la crotte chaude de son chien devant les
regards dégoutés des passants ? Comment rester digne face à ce collègue
qui se trompe de prénom en vous interpellant alors qu’il vous côtoie depuis des
années ? Garder la tête haute lorsque le talon de son escarpin se coince
entre les pavés du trottoir et vous fait faire une figure digne de « Danse
avec les stars » (notez la référence, merci) ? Pourquoi devrais-je
tout faire dans la dignité moi ?!
La vieille dame qui nous passe
devant à la boulangerie, elle en a de la dignité ? La minette qui nous fait une queue de poisson
en voiture et qui en plus nous engueule ? Le père de famille qui pique une
pochette pleine de jeux de DS alors qu’il voit l’enfant à qui elle appartient
jouer à 2 mètres ? Le défenseur de l’ordre moral qui n’hésite pas à sauter
à pieds joints sur une femme nue ? Mais je m’égare …
Au moment de prendre la parole,
un doute m’assaille et je demande à mon responsable s’il veut bien répéter sa
dernière phrase, car elle ne correspond pas à ce que j’attendais. Il m’octroie
une prime. Youpla direz-vous mais attendez la suite. Son montant est de 50€.
Brut. Soit 32€ nets. Si mon curseur de dignité était placé très haut, je
lui aurais sobrement répondu que je le remerciais chaleureusement de cette
distinction, mais que je préférais qu’il garde sa prime parce que son montant
astronomique risquait de me faire sauter une tranche d’imposition. Sauf que,
comme mon curseur de dignité est depuis bien longtemps au niveau zéro dans mon
milieu professionnel, mais que par contre mon curseur lâcheté est au beau fixe,
j’ai juste murmuré un merci, avant de m’éclipser vers la machine à café, pour
crier, pas trop haut et pas trop fort, que c’est tout de même un scandale de
proposer des primes aussi ridicules, que c’est limite un manque de … dignité.
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