lundi 19 novembre 2012

Où placer le curseur le la dignité ?



La base cette interrogation m’est venue lors mon entretien avec mon responsable, cet entretien qui vise à t’annoncer si tu as ou non décroché augmentation ou prime cette année. En règle générale tu le sais très rapidement. Si c’est oui, le manager ne va pas forcément prendre des heures pour te l’annoncer, c’est un cas facile pour lui, il sait qu’il va plus ramer avec les autres membres de l’équipe qui eux n’ont rien, il ne va donc pas perdre son temps avec le grand gagnant. Avec un peu d’entrainement, tu peux savoir dès le pas de la porte ce qui t’attend. A la tête de la personne en face de toi, à sa façon de te saluer, de te présenter la chaise pour t’asseoir, d’entamer la discussion.
Alors que j’étais assise depuis dix bonnes minutes face à mon responsable, à l’écouter réciter un discours fort bien argumenté je dois l’admettre, je me demandais comment  réagir avec dignité à ce nouvel affront. Les arguments avancés reposaient sur trois points : l’entreprise a des difficultés en ce moment, vous n’avez pas « sur - performé » cette année, et vous avez déjà un salaire honorable par rapport à vos collègues.
Concernant la situation de l’entreprise, c’est fou comme la crise peut être un bon argument pour tout un tas de situations : donner de toutes petites étrennes aux éboueurs qui te balancent ta poubelle violemment contre le mur de ta maison quand ils ne la laissent pas tout bonnement au milieu de la route, ou abréger l’appel téléphonique du vendeur de vérandas/fenêtres/pompes à chaleur, par exemple. Argument pratique mais moche quand il se retourne contre vous. Parce que c’est bien cet argument là que ce gentil monsieur est en train de me servir en introduction. Les temps sont durs, nous devons tous être solidaires, l’entreprise peut se sortir de cette mauvaise passe mais il faut que chacun y mette du sien, et que tous se soutiennent mutuellement. Son soutien à lui pourrait peut être commencer par me prêter au choix, sa voiture de fonction, son téléphone de fonction ou bien alors me faire le plein une ou deux fois par mois avec sa carte pro. Ce serait déjà un bon départ de solidarité inter-entreprise, mais là n’est pas le propos me dirait-il sûrement. 

SurPerformeuse, SurPerformeuse, ah oui c'est moi...

Et puis, de toute façon, je n’ai pas surperformé. La surperformance est un terme difficile à cerner, même pour ton manager. Posons-lui calmement la question de ce que cela signifie concrètement, qu’il l’illustre par un exemple, et nous verrons que la non surperformance peut revêtir des formes insoupçonnées. Un dossier bouclé dans les temps, un évènementiel réussi, les objectifs remplis constituent une performance mais en aucun cas une surperformance. On surperforme lorsque l’on va au-delà des demandes de notre hiérarchie, lorsque, transcendée par un professionnalisme rarement égalé, nous anticipons, nous rendons nos dossiers avec deux jours d’avance, nous réalisons les tâches avant mêmes qu’elles ne nous soient confiées, que telle une tornade d’efficacité nous résolvons tous les problèmes avant même qu’ils ne se posent. Attention tout de même que votre surperformance ne vienne pas empiéter sur la performance de notre supérieur, ça, ça ne se fait pas.


Et puis, de toute façon, j’ai un salaire honorable par rapport à mes collègues. Cette affirmation ne repose que sur l’absence totale de confiance entre collègues et le tabou qui entourent le salaire : personne ne divulgue à personne son salaire dans une même direction. Et quand certains brisent le tabou et viennent poser directement la question «  et toi, tu gagnes combien ? tu as eu combien de prime ? ta dernière augmentation date de quand ? », On peut apercevoir cette expression familière de grand moment de solitude sur le visage, qui exprime non pas l’hésitation de se dire si nous allons ou non répondre sincèrement aux questions posées, mais plutôt à l’élaboration vitesse grand V du mensonge éhonté que nous nous apprêtons à formuler. Le supérieur se base donc sur cette vérité pour se permettre d’affirmer notre haut niveau de salaire par rapport aux autres parce qu’il sait que nous ne pourrons vérifier ou du moins, obtenir une information fiable.
Au bout de plusieurs longues minutes d’un monologue uniquement ponctué par mes hochements de têtes et quelques acquiescements murmurés, la parole allait m’être donnée. Après la conclusion de mon responsable, qui se terminerait inévitablement par un « vous comprenez donc bien que nous ne pourrons vous octroyer aucune augmentation ou prime cette année et vous m’en voyez désolé », j’allais pouvoir exprimer toute ma frustration, mon écœurement face à cette situation.  J’avais en tête la date de ma dernière augmentation, les différents dossiers où j’avais pleinement réalisé mes objectifs, j’étais prête à contre-attaquer sobrement, plein de dignité.
Car l’idée n’est pas non plus de perdre tout sens commun et de céder à la facilité. Par exemple, se mettre à pleurer, supplier, pire, tenter d’attirer la pitié en citant le nombre de bouches à nourrir, l’otite du petit dernier à soigner, le montant des impôts à payer, est tout de suite catalogué comme un grand manque de dignité. Flatter peut être une alternative, sauf quand cela n’intervient que lors de cet entretien. Un petit compliment sur la cravate ne peut pas faire de mal, mais inutile de vous adresser à votre responsable par un « votre grandeur » ou « maître », qui de plus pourrait être mal interprété. Je passe sur les différentes formes de soudoiements possibles, du monétaire au sexuel, toute once de dignité y est improbable. Le chantage peut être une option,  mais autant dire qu’il faut avoir en sa possession du lourd, du très lourd pour s’embarquer dans ce chemin, avec sans dignité d’ailleurs.
Mais la dignité est-elle nécessaire ? Ne peut on pas tout simplement l’oublier, se jeter aux pieds de son chef adoré, laissant échapper quelques larmes si c’est pour obtenir un petit mieux financier chaque mois ? Ne pourrait-on pas arriver à son entretien avec quelques petits gâteaux « maison » juste pour témoigner de son admiration inconditionnelle ? Proposer un massage des épaules, parce que oui on le sent tendu tout de même, c’est normal avec toutes ses responsabilités, est-ce vraiment une tentative de « promotion canapé » ?
Et puis d’abord, est-ce que les gens autour de nous ont de la dignité tout le temps ? Comment conserver sa dignité lorsque l’on doit ramasser la crotte chaude de son chien devant les regards dégoutés des passants ? Comment rester digne face à ce collègue qui se trompe de prénom en vous interpellant alors qu’il vous côtoie depuis des années ? Garder la tête haute lorsque le talon de son escarpin se coince entre les pavés du trottoir et vous fait faire une figure digne de « Danse avec les stars » (notez la référence, merci) ? Pourquoi devrais-je tout faire dans la dignité moi ?!
La vieille dame qui nous passe devant à la boulangerie, elle en a de la dignité ?  La minette qui nous fait une queue de poisson en voiture et qui en plus nous engueule ? Le père de famille qui pique une pochette pleine de jeux de DS alors qu’il voit l’enfant à qui elle appartient jouer à 2 mètres ? Le défenseur de l’ordre moral qui n’hésite pas à sauter à pieds joints sur une femme nue ? Mais je m’égare …
Au moment de prendre la parole, un doute m’assaille et je demande à mon responsable s’il veut bien répéter sa dernière phrase, car elle ne correspond pas à ce que j’attendais. Il m’octroie une prime. Youpla direz-vous mais attendez la suite. Son montant est de 50€. Brut. Soit 32€ nets. Si mon curseur de dignité était placé très haut, je lui aurais sobrement répondu que je le remerciais chaleureusement de cette distinction, mais que je préférais qu’il garde sa prime parce que son montant astronomique risquait de me faire sauter une tranche d’imposition. Sauf que, comme mon curseur de dignité est depuis bien longtemps au niveau zéro dans mon milieu professionnel, mais que par contre mon curseur lâcheté est au beau fixe, j’ai juste murmuré un merci, avant de m’éclipser vers la machine à café, pour crier, pas trop haut et pas trop fort, que c’est tout de même un scandale de proposer des primes aussi ridicules, que c’est limite un manque de … dignité.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire