Hier, j’avais un rendez-vous avec
une conseillère pour une mutuelle de santé. Avant ma mutuelle était imposée par
ma boîte, je ne me posais pas vraiment de questions. Maintenant, je dois
choisir ma mutuelle, et, en substance, je dois choisir si je vais avoir des
problèmes de vue, d’audition, de dentition, ou si je vais être hospitalisée
bientôt. Bref, je dois cocher des options pour savoir si je préfère
avoir : des lunettes à monture en bois ou griffée, un sonotone
perfectionné ou demander aux gens de parler plus fort, une jolie couronne en
céramique (tiens je dois prendre rdv chez le dentiste) qui coûte un bras, ou un
sourire à la mode de n’importe quel rappeur en jogging, une hospitalisation
dans une chambre individuelle, où je pourrais péter seule en matant les feux de
l’amour tranquillos ou une chambre à deux voire trois, à devoir attendre mon
tour pour aller faire pipi, me taper les jeux de TF1 sans pouvoir écouter les
feux de l’amour parce que la famille entière de l’éclopée à ma droite aura
décidé de venir lui tenir compagnie… bref, pas une décision anodine.
J’arrive avec un peu d’avance, la
personne à l’accueil est un peu dans le genre des Sophie&Sophie, en moins
drôle. Elle m’ouvre une porte sur un couloir et me plante là. Ahhh la douce
moquette pleine d’acariens, les murs en plastiques modulables, pas de doutes,
nous sommes dans des « bureaux ». Seule dans mon couloir, je me
dirige alors vers le premier bureau occupé dont les stores ne sont pas baissés
et dont la porte est ouverte. Un jeune cadre dynamique est en plein boulot,
avec tout le package : ordi portable, blackberry + Iphone, piles de
dossiers, stylos de marque, téléphone qui clignote (= j’ai des messages en
attente tellement je suis débordé je n’ai même pas le temps de les écouter), trois
gobelets de café … je me poste à l’entrée de son bureau et l’interpelle
« Bonjour, j’ai rendez-vous avec Mme …. ». Le costard-cravate lève
les yeux vers moi. Ma conseillère n’est pas arrivée, mais il m’invite à patienter
dans la salle de réunion située derrière. Avant de repartir il me propose un
café que je décline. Et je peux vous dire tout de suite que lui, soit c’est le
boss, soit c’est un stagiaire. Et au vu de son bureau, c’est le boss… Et
pourquoi ? Parce qu’il n’a pas du tout l’habitude d’accueillir des
clients. Il ne me serre pas la main, semble gêné, comme si il voyait un « prospect »
pour la première fois, et, en grand professionnel, il m’installe pour me faire
patienter dans une salle qui avait du accueillir le matin même une réunion sur
« comment convaincre le client de signer vite et haut » : tout
le dispositif de vente est affiché au tableau, avec de jolis schémas sur des
paper-board, les objectifs de chacun et les cadeaux récompensant les gagnants
du challenge de ce mois-ci.
Quand ma conseillère arrive
enfin, je vois à sa tête que la bourde de son boss ne passe pas inaperçue…nous
gagnons son bureau, et je me retrouve là où j’étais il y a un 18 mois, la
dépression en moins. La moquette grise, sale, les murs en cloisons fines comme du
papier, qui laissent passer toutes les conversations. Les armoires à fermeture
« accordéon » de couleurs gaies comme le noir, le gris, ou le beige…
entre nous, on les appelait des armoires de prison. Le bureau en mélaminé gris,
le « caisson » pour y disposer ses petits dossiers et ses
fournitures : stylos, trombones, agrafeuses, stabylos jaunes… Le téléphone
à cadran, avec toutes les options possibles : renvoi d’appel, audio,
répertoire et sonneries pourries. A la fin de ma vie de salariée de bureau,
j’avais une sonnerie magnifique : un mec qui disait en boucle « Are
you there ? Are you there ? Are you there ? ». Il
y a avait la version femme aussi. Ça rendait dingue mes collègues. En une
seconde, j’ai tout revu : même mobilier, même disposition, même contrainte
de se brancher au réseau pour imprimer trois feuilles, même ordinateur, mêmes
armoires, mêmes dossiers empilés, mêmes porte-manteaux…
Ma conseillère est allée chercher
les documents sortis de l’imprimante, j’ai alors pu réaliser qu’elle avait
aussi les mêmes collègues en entendant les conversations dans le couloir. Deux
personnes se faisaient mille courbettes à l’occasion de la nouvelle année, une
autre annonçait le pot-galette du lendemain midi, ma conseillère pestait contre
l’imprimante qui ne fonctionnait pas, épaulée dans sa galère par un collègue
qui menaçait d’engueuler Serge de la logistique si cela ne s’arrangeait pas au
plus vite… J’ai entendu ses petits pas dans le couloir, nous avons finalisé
l’entretien, elle a proposé de me raccompagner, mais, profitant du fait que son
téléphone sonnait, j’ai décliné sa proposition, lui certifiant que je
retrouverai très bien mon chemin. Une fois dans le couloir, j’ai pu tout à ma
guise admirer les « cases courrier » de chaque service de cet étage,
les vieilles affiches de publicité accrochées par le département marketing pour
« égayer » le couloir gris, les plantes vertes à l’agonie, les
cartons déposés devant les bureaux… et surtout, j’ai pu entendre tous ces
bruits qui font l’atmosphère d’une vie de bureau : les conversations
téléphoniques trop bruyantes, les murmures des discussions plus
confidentielles, les sonneries, toutes plus kitsch les unes que les autres, le
manager qui déclame son discours de motivation en réunion d’objectifs
hebdomadaire, les imprimantes en fond sonore… J’ai respiré à fond les odeurs de
poussières, de renfermé, de papiers, d’after-shave, de parfums mal dosés, puis
j’ai ouvert la porte et je suis sortie de l’immeuble. Et j’ai ressentie un sentiment
de liberté, comme quand je séchais les cours au lycée pour aller au café avec
les copains, la culpabilité en moins. L’impression de respirer à pleins poumons,
après une longue période d’apnée. L’impression que les gros doigts de
l’entreprise avaient enfin desserré leur étreinte de mon petit nez, pour le
laisser respirer à sa guise…
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